repas des poilus

 

La « popote », dans l’argot des poilus, peut désigner bien sûr la nourriture elle-même, ou le fait de la cuisiner. Mais pourquoi le soldat dionysien Abel Tissot légende-t-il dans son carnet de guerre « notre popote à Vaumoise » la photographie ci-dessus ? Parce que dans les tranchées, ce mot est aussi employé pour désigner le repas lui-même, le lieu où il se déroule, et le groupe de soldats qui y participent. Un temps de partage et de convivialité.

 

Déjeuner au milieu des combats

Moment qui structure la journée, la popote doit être prise trois fois par jour, selon le Livre de cuisine militaire aux manœuvres et en campagne publié en 1915. En plein air, dans des bâtiments abandonnés, des tranchées aménagées de bric et de broc, ou parfois, comme sur cette photographie de 1917, chez des villageois qui accueillent quelque temps les combattants. Mais avoir des bancs et une table où déjeuner, c’est déjà une chance. Quant aux assiettes, elles ne sont pas prévues dans l’équipement du soldat. Certains découpent le fond de leur « gamelle » réglementaire en métal pour s’en créer une. D’autres en récupèrent dans des maisons abandonnées. Objets dérisoires, mais qui leur donnent l’occasion de retrouver un peu du confort de la vie civile. Ce (ré)confort que l’on trouve aussi en constituant un groupe de camarades avec lesquels partager son dîner.

 

Un moment convivial

« Je mange avec les sergents de la mitraille. Bonne soupe, bonne viande, bon vin, bonne camaraderie : nous sommes déjà des amis. » [1] Les repas s’avèrent ainsi des moments de détente, de discussion, essentiels à la cohésion des troupes. Rares sont les photographies où l’on voit des soldats déjeuner seuls : on se réunit par grades, par compagnies, par affinités… On en profite pour échanger les dernières nouvelles. On fait aussi des débats sur des sujets très divers, comme le raconte l’ancien archiviste de Saint-Denis Frédéric Duval :

La popote […] ce soir-là fut extrêmement brillante : la littérature, l’art et la musique occupèrent les esprits. La musique allemande passa un mauvais quart d’heure… Nous fûmes d’accord pour préférer la limpidité et le symbolisme de la musique française aux obscurités et aux brumes de la musique allemande. Wagner fut honni…

Menus particuliers, ambiance festive, c’est d’ailleurs souvent au moment du repas qu’on marque le coup les jours de fête :

Nous avons ce soir fêté le 14 juillet. Le ventre des soldats s’est réjoui. Un litre de vin, du jambon, des haricots, du bœuf, des gâteaux, du champagne Mercier, des cigares. C’est plus qu’il n’en fallait pour nous rendre heureux.

Bref, la popote, pour les poilus, a une réelle importance. C’est même l’un des principaux sujets qu’ils développent dans leur correspondance, comme le note Marie-Auguste Collomp, incorporé dans l’infanterie, dans une lettre à sa femme Léontine :
« Tu me diras que je ne parle que de mangeaille »[2].

 

 

[1] Cette citation et les deux suivantes sont extraites de l’ouvrage de Frédéric Duval, Carnets de guerre d’un sergent de mitrailleurs, éditions Gabriel Beauchesne, 1919, p. 157-158, p. 148, p. 32 et p. 306.

[2] Lettre du 3 juin 1915, extraite d’Un instituteur provençal : Marie-Auguste Collomp. Lettres à Léontine, 1914-1915. Collection Les cahiers de Haute-Provence, n°3, Forcalquier, Les Alpes de Lumière, 2004, p. 136.