Dans cet extrait de témoignage oral, soixante-dix ans après la guerre de 14, Charles Poulbot exprime son amertume d’avoir été un « Pauvre Con Du Front » ou plus simplement un PCDF, comme on disait couramment à l’époque.
Cette appellation, pendant la guerre de 14, est utilisée par les soldats. Elle dénonce les « embusqués » qui se sont débrouillés pour ne pas aller au front. Être embusqué, c’est avoir su échapper aux combats.
La signification du qualificatif dépend de la personne qui l’emploie. Un combattant dira d’un militaire affecté à l’arrière ou aux bureaux qu’il est un embusqué. Il arrive aussi qu’un soldat plus éloigné des premières lignes devienne un « embusqué du front » pour les soldats des premières lignes.
Voilà d’ailleurs la définition des « embusqués du front » pour le lieutenant Morin : « Les agents de liaison, les scribouillards, les brancardiers, les musiciens, tous ceux [qui] surgissent de leurs confortables abris où ils s’étaient précipités, recommencent à vaquer tranquillement à leurs petites affaires, à respirer l’air pur, allongés sous les grands arbres, lisant dans leur journal les exploits de leurs frères de première ligne tout en fumant leur pipe et en écoutant les oiseaux qui s’ébattent en gazouillant dans les branches[1]. »
Un civil peut également employer le mot. Les embusqués sont accusés d’avoir obtenu leur position privilégiée contre de l’argent ou parce qu’ils ont des relations. L’embusqué est montré du doigt pour sa couardise, mais en silence, il est aussi envié pour la sécurité dont il bénéficie du fait de sa position.
Dans l’argot des poilus, s’embusquer c’est trouver le filon. Un filon est une position sans danger. Une blessure sans dommages physiques trop importants et qui éloigne du front est aussi un filon.
Charles Poulbot, dessinateur industriel aux compétences précieuses pour l’industrie de guerre, refusera l’opportunité qui lui sera offerte de retourner vers l’arrière pour travailler en usine à l’invention de nouvelles armes de guerre. Il restera, par choix patriotique, sur le front.
Cette décision, il l’expliquera, bien des années plus tard.
Selon lui, il n’avait pas assez combattu, il n’avait pas « assez bouffé du Boche », lui qui n’avait été mobilisé qu’en 1915. Pour l’opinion comme pour lui, s’embusquer, c’était faire preuve de lâcheté.
Charles Poulbot revient à Saint-Denis après sa démobilisation et reprend son poste chez Aster. Le manque de dessinateurs industriels lui permet de bien gagner sa vie. Mais pour tout le monde il est le « Pauvre Con Du Front ».
[1] Émile Morin, Lieutenant Morin, combattant de la guerre 1914-1918, Besançon, Cêtre, 2002, p. 57.