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En 1914, le football, ou « football association » comme on disait à l’époque, compte cent à deux cent mille pratiquants réguliers en France. Mais l’armée n’accorde encore que peu d’intérêt au sport, au grand désespoir de certains combattants. Mobilisé en 1915, Charles-Maurice Chenu témoigne [1] :

Si seulement nous avions un ballon ! Si nous pouvions jouer au football ! Un jour, je m’en ouvre au vieux capitaine auquel on nous a confiés. Il me regarde avec des yeux ronds. Un ballon ? Qu’est-ce que je veux faire avec un ballon ?

Après la fixation de la ligne de front à l’automne 1914, les soldats prennent des initiatives pour pouvoir pratiquer leur sport favori, avec les moyens du bord : les matchs sont improvisés entre deux régiments voisins, les capitaines sont invités à faire office d’arbitres, des betteraves sont même parfois utilisées en guise de ballon. Ces initiatives sont le fait de sportifs passionnés, encore un peu isolés, comme le soldat dionysien Abel Tissot, qui se souvient [2] :

au début […], les quelques joueurs que nous étions, nous passions bien pour des énergumènes. Il nous a fallu du « cran » et du feu sacré pour continuer

… organisant même, bien avant la création de la Ligue des Champions, des rencontres internationales !

En novembre 1915, Abel Tissot arrange ainsi deux matchs de football entre le 3e groupe cycliste, dont il fait partie, et un régiment anglais originaire de Cambridge. Bien que spontanée, l’initiative rencontre un grand succès, auprès des participants comme de leurs supporters : quatre cents soldats assistent à la défaite (score final : 4-3) de l’équipe d’Abel Tissot le 21 novembre 1915. Le Matin, grand quotidien français de l’époque, se fait même l’écho du match dans sa chronique sportive.

À partir de 1917, état-major et personnel politique prennent la mesure des choses et décident d’encourager la pratique du sport. Leurs buts ? Entretenir la condition physique des combattants, tout en développant l’esprit de corps. En septembre, le Grand Quartier Général invite donc l’Union des Sociétés Françaises de Sport Athlétique à organiser des championnats de football par division dans chaque armée. Au même moment, le président du conseil Paul Painlevé ordonne l’achat de quatre à cinq mille ballons pour le front. Et jusqu’à la démobilisation, les matchs s’y multiplient.

 

 

[1] Charles-Maurice Chenu, Du képi rouge aux chars d’assaut, Paris, 1932, p. 106.

[2] Extrait du carnet de guerre d’Abel Tissot, Archives municipales de Saint-Denis, 82 S 33/11.