Comment soutenir les soldats qui ne reçoivent jamais de courrier ? Ceux dont la famille est prisonnière de la zone occupée ? Ceux qui n’ont plus personne ? C’est pour tenter de combler ce manque que, fin 1914, naît l’idée des marraines de guerre. Dès 1915, des associations sont donc créées pour mettre en relation civils et combattants. Des journaux, comme le Journal de Saint-Denis, publient des annonces de poilus :

Le jeune fantassin Jesuis, du 7e d’infanterie (classe 14), sans famille, depuis trente mois au front, voudrait bien connaître une bonne âme compatissante, qui remonterait son moral affaibli et voudrait bien l’adopter comme filleul de guerre.

Ces « bonnes âmes compatissantes » sont souvent des femmes. Mais la presse enfantine, l’école… encouragent aussi les enfants des deux sexes à parrainer des soldats. Du haut de ses dix ans, Jean Chapuis « adopte » ainsi en 1916 un chasseur dionysien rencontré lors d’une permission : Abel Tissot. Une correspondance débute entre eux. L’enfant offre au soldat soutien et encouragements, lui raconte son quotidien, suit ses combats :

Je vois que votre bataillon a fait de belles choses à P…. et que la déroute des Allemands a été complète. J’espère que votre 2ème attaque a été aussi bien que la 1ère[1]

Parrainer un soldat donne un visage humain, plus concret, à la guerre : Jean Chapuis vendait déjà des médailles pour les soldats, mais désormais, quand il le fait, c’est pour pouvoir envoyer des colis à Abel. Et ce dernier n’oublie pas de rendre visite à son « petit parrain » lors de ses permissions : il l’accompagne au théâtre, l’emmène visiter des combattants blessés ou se promener en barque sur le lac d’Enghien… Un véritable lien se noue entre eux.

Mais d’autres sont moins chanceux : pour certains parrains et marraines, écrire se réduit à une obligation morale et patriotique. Ou bien ils se font escroquer par des soldats intéressés et peu scrupuleux qui leur réclament argent et colis : l’un d’eux aurait ainsi obtenu à lui seul l’aide d’une quarantaine de marraines ! Beaucoup de relations épistolaires ne durent pas, voire se terminent par de réelles désillusions.

[1] Lettre de J. Chapuis à Abel Tissot, 20/08/1916.

 

Parrains et marraines de guerre

Fonds Abel Tissot. Récit d’une journée avec son parrain, septembre 1916.