À l’été 1914, en quelques semaines, les allemands déferlent sur la France en passant par la Belgique. Des départements entiers deviennent des zones de combat ou sont envahis par l’armée ennemie. Les habitants, paniqués, fuient. D’autres sont évacués sur ordre de l’armée qui refuse d’avoir à nourrir des « bouches inutiles ». Où se réfugier quand on n’a plus de foyer ? Jamais les généraux n’avaient imaginé la possibilité d’une invasion de la France par l’Allemagne ! Rien n’est prévu pour accueillir les 80 000 personnes qui viennent chercher asile en région parisienne. Parmi elles, plus de 3600 s’installent à Saint-Denis. C’est le cas, par exemple, de Raymond Ludwig, âgé de 15 ans à peine au début de la guerre, ou de la jeune infirmière belge Pauline d’Hénin.
Mais comment ces réfugiés rejoignent-ils la banlieue de Paris, dans un pays affolé par l’avancée allemande ? Le plus souvent, leur voyage se fait en famille. En septembre 1914, c’est ainsi accompagné de sa mère, de son frère de 10 ans et de sa petite sœur d’à peine un mois que Raymond Ludwig quitte les Ardennes. Moins d’un réfugié sur cinq arrive seul à Saint-Denis, comme Pauline d’Hénin. Mais que l’on voyage ou pas bien entouré, le trajet est souvent long et difficile. Durant les premières semaines de guerre, beaucoup de réfugiés fuient les départements français envahis ou la Belgique et s’entassent dans des trains surchargés à destination de la région parisienne. Quelques familles partent même d’Allemagne, de Russie ou de Grèce ! Le voyage est donc souvent chaotique : Raymond Ludwig et ses parents parcourent dans un premier temps plus de 200 kilomètres à pied, avec une charrette à bras pour tout bagage. Puis ils séjournent à Joinville-le-Pont (Haute-Marne) jusqu’en décembre 1914, avant d’être évacués vers Saint-Dizier par la Croix-Rouge. Ce n’est qu’en mars 1915 qu’une des tantes de Raymond, habitante de Saint-Denis, leur obtient une autorisation de transport qui leur permet de trouver asile près de chez elle.
Comme la famille Ludwig, c’est pour y retrouver des proches déjà installés que de nombreux réfugiés viennent en région parisienne. La ville de Saint-Denis attire aussi grâce aux multiples emplois proposés par les usines locales. Le jeune Raymond est ainsi embauché peu après son arrivée par la société de production d’automobiles Delaunay Belleville, qui emploie beaucoup d’Ardennais. D’autres réfugiés sont par exemple recrutés par les Forges et Ateliers de la Fournaise, entreprise créée en 1915 pour fabriquer des obus.
Pour autant, pendant la guerre, il n’est pas simple de vivre à Saint-Denis quand on est réfugié. Comme Pauline d’Hénin, il est courant de se retrouver au chômage, ou de percevoir un salaire trop faible pour mener une vie confortable. À partir de décembre 1914, s’ils gagnent moins de 5 F par jour, les réfugiés ont donc droit à une allocation journalière de 1,25 F par adulte et par jour et de 0,5 F par enfant. De 1915 à 1921, plus de 1200 d’entre eux font ainsi une demande d’aide à la mairie de Saint-Denis. Dès le début de la guerre, le maire se mobilise d’ailleurs en leur faveur. En septembre 1914, elle nomme une commission de cinq élus pour lister les locaux qui pourraient les accueillir. Elle réquisitionne ensuite trois hôtels rue de la République, boulevard de Châteaudun et rue des Poissonniers. Mais c’est une exception : la plupart des réfugiés doivent trouver un logement par eux-mêmes. La famille de Raymond Ludwig s’installe ainsi au 5 bis, rue des Moulins Gémeaux et Pauline d’Hénin au 56 bis, rue Bonnevide.
Pendant la Première Guerre mondiale, comme eux, 5% des habitants de Saint-Denis sont des réfugiés. Pourtant, leur installation est rarement durable. Certains déménagent rapidement, comme Pauline d’Hénin, qui part à Neuilly en mars 1916. Mais ils sont aussitôt remplacés par d’autres rapatriés, évacués… qui continuent à arriver en région parisienne bien après les premières offensives de 1914. Même la fin de la guerre ne stoppe pas les arrivées : de 1919 à 1921, plus d’une centaine de familles viennent encore trouver refuge à Saint-Denis. Bien intégré, Raymond Ludwig s’y installe d’ailleurs définitivement : « Moi, les Boches y m’ont foutu à la porte, je suis tranquille ici, je reste. Et puis c’est tout ». Mais son choix reste exceptionnel et le brouille avec ses parents, qui décident de retourner dans les Ardennes. En effet, comme eux, la majorité des réfugiés choisit peu à peu de rentrer dans sa région d’origine. Devenu inutile, le service qui les prenait en charge au sein du ministère de l’Intérieur est donc officiellement dissous le 31 décembre 1922.