Abel Tissot écrivant du front à une mère de soldatMarcel Cœurdeuil est né le 21 avril 1894 à Bar-sur-Aube. Recruté au 1er Bataillon de Chasseurs à pied, il s’y est lié d’amitié avec Abel Tissot, compagnon d’infortune. Marcel a été tué le 6 septembre 1916, à Vermandovillers, dans la Somme. Il avait 22 ans. Abel, que l’on voit ici en train d’écrire, au front, a raconté le combat dans son journal. Il considérait un peu Marcel comme son petit frère. Il a écrit à sa mère, lui a envoyé des photos.

Voilà quelques extraits des réponses que la maman de Marcel lui a adressées.

 

29 septembre 1916

Cher Monsieur Abel,

Que devez-vous penser de moi ? Que je suis une ingrate, de ne pas avoir fait réponse à vos lettres, mais mon chagrin est si grand que je n’avais pas le courage de prendre la plume et de le faire, car je ne puis me faire à cette idée que ce pauvre Marcel n’est plus. Aussi je relis vos lettres et je me dis s’il est bien au repos et dans le repos éternel, loin des siens, loin de sa mère qui ne peut aller pleurer sur sa tombe et la fleurir, pauvre petit. Mais je vois par votre dernière lettre que vous, son ami, qui parlez avec tant d’amitié, vous avez été la fleurir avec de ses camarades que je remercie bien d’avoir pensé dans les moments pénibles que vous aviez supportés. Vous n’avez pas eu peur de votre fatigue pour aller faire hommage à votre petit ami mort en brave.

Pourquoi donc, que cette maudite balle l’a couché loin des siens ? Lui si confiant me disait encore sur sa dernière lettre du 5 : « Maman, aie confiance, c’est bien dur mais ces Boches ne m’auront pas ». Ah ! Ce pauvre Marcel, quelques heures après, la mort avait fait son œuvre, pauvre petit.
[…]
Cher Monsieur Abel, je vais vous quitter. Yvonne et Suzanne se joignent à moi pour vous offrir nos sincères amitiés.
Quelques lettres de vous, que nous considérons parmi nos grands amis, me feront grand plaisir et croyez à ma grande amitié.
Votre toute dévouée bien triste Veuve Cœurdeuil.

PS : Remerciez donc pour moi tous ces jeunes gens qui vous ont accompagné sur la tombe de mon Marcel bien aimé.


15 octobre 1916

Cher Monsieur Abel,

[…] J’ai bien reçu votre lettre et le plan qui y était joint, dont je vous remercie bien, et qui est très explicite. Cela vous a donné du travail, mais vous êtes bon, et en souvenir de mon pauvre Marcel, le travail n’était rien, mais vous n’aviez pas affaire à un ingrat, car ce pauvre petit, pas une lettre ne m’arrivait sans parler de son ami Abel. Ah ! Je vous assure que c’est bien pénible quand je vois le facteur passer et plus rien… Pensez, quel gros cœur et dire qu’il faut que je me remonte. C’est bien dur et pénible.

Vous me dites que vous allez m’envoyer des photos. C’est avec plaisir que je les recevrai, mais il ne faut cependant pas que vous vous dérangiez à ce point, surtout si vous êtes remonté aux tranchées, tout cela vous donne de l’occupation.

Je vois que vous avez été en permission. Que vos parents devaient être heureux d’avoir leur fils et moi plus rien, plus de permissionnaire à attendre avec tant de joie, que ce pauvre petit me manque, lui si heureux de m’annoncer sa permission. Pourquoi donc que cette fatale balle est venue le ravir à sa famille, à sa mère qui pleurait tant déjà de vous savoir tous militaires dans ces souterrains, par toutes ces intempéries, et aujourd’hui le savoir à tout jamais enterré, loin des siens.

Eh bien, cher Monsieur Abel, vous m’offrez de m’accompagner lors de la fin de cette vilaine guerre, c’est avec grand plaisir que j’accepte et il faut bien espérer que vous, vous échapperez à toutes ces vilaines barbaries.
[…]
Cher Monsieur Abel, je vais vous quitter. Yvonne et Suzanne se réunissent à moi pour vous envoyer nos sincères amitiés.
Votre toute dévouée Veuve Cœurdeuil.


Dimanche 22 octobre 1916

Cher Monsieur Abel,

Je vois que nos lettres se sont croisées. J’ai bien reçu les photos et votre lettre. Les photos du cimetière où repose mon Marcel bien-aimé. Combien j’ai à vous remercier de la gentillesse que vous avez bien voulu me manifester en me faisant ces photos et je vois tous ses camarades, autour de sa tombe, qui ont bien voulu vous accompagner. Je vois par là qu’il avait su attirer vers lui leurs amitiés.

Ce pauvre petit, quand donc pourrais-je moi aussi aller sur sa tombe pleurer. Peut-être jamais, car ces maudits ennemis ne sont pas encore bien loin et ces tombes pourraient être bouleversées par leurs obus.
[…]
Je vois, par votre photo que vous m’avez jointe, que vous aviez donné des leçons à votre petit ami, cela m’a fait grand plaisir, d’autant plus tout ce qui a rapport à ce pauvre disparu pour jamais, car pour une mère tout lui est cher venant de lui.
[…]
Yvonne et Suzanne se réunissent à moi pour vous envoyer nos sincères amitiés et vous souhaitent bon courage et espoir dans la fin prochaine.
Votre toute dévouée Veuve Cœurdeuil.

Amitiés à tous ces jeunes gens qui vous accompagnaient.

 


Marcel CoeurdeuilMarcel CoeurdeuilMarcel Coeurdeuil
Légende des images :
• A gauche, Marcel Coeurdeuil photographié au Ravin du Chemin de fer, un 4 avril.
• Au centre, Marcel Coeurdeuil et Abel Tissot, place de la Concorde à Paris, à l’occasion d’une permission.
• A droite, Marcel Coeurdeuil (au centre de la photo) rase les cheveux d’un de ses compagnons.